Qu’est-ce que le « Leave no trace »
C’est un programme d’éthique environnemental lancé en dans les années 1960 par le ministère américain en charge de la nature, regroupant des parcs nationaux, des services forestiers etc… à destination du public. Il répond à une problématique grandissante : l’arrivée de nouveaux matériels et matériaux chez les campeurs d’après-guerre. Avant on avait pas de plastique, on savait dormir en forêt et repartir sans rien abîmer, car on revenait avec plaisir dans ces endroits. Le tourisme de masse se généralise bientôt et les parcs naturels deviennent des poubelles. Le saviez-vous, les Boys Scouts of America ont été parmi les premiers à faire appliquer ce programme, sur leurs bases scoutes d’état.
Le concept du Zéro Impact est aisé à saisir. Si je vous dis : « Regardez à la surface de ce lac, si je vous dis qu’un bateau est passé là, au bout de mon doigt, voilà trente minute. Voyez-vous une trace de son passage ? ». Non, vous me répondez non. S’il a fait des vagues en passant à vive allure, ou des ronds dans l’eau en clapotant gentiment, c’est désormais effacé. C’est ça la doctrine, ne laisser aucune trace de son passage dans un lieu naturel, par respect et par devoir.
Imaginez maintenant, je vous désigne un bel endroit au bord du lac, des rochers chauffés par le soleil, une branche bien droite au dessus d’un coin de mousse verte bien épaisse et accueillante, une eau claire et poissonneuse. La scène est idyllique, mais en approchant vous réalisez que les rochers sont tout noirs, quelqu’un a fait un feu contre eux, adieu le dossier chaud. La mousse est toute piétinée, marron par endroit, elle est mourante car quelqu’un a uriné dessus et l’a arraché. La branche a été sciée de travers et une vieille ficelle en lacère le milieu, forçant l’arbre à pousser par dessus. Dans l’eau, des bouteilles de bières en verre avec quelques têtards nageant dedans, les rayons du soleil vous indiquent des morceaux de verre brisés juste là où vous seriez bien rentrés dans l’eau pour vous baigner.
La doctrine Leave no Trace (Zéro Impact) diffuse un message bien différent. Elle propose de se conduire dans la nature, comme vous voudriez qu’elle soit à votre première venue : vierge, belle, intacte, préservée.
L’art du Zéro Impact : une doctrine en 3 temps
Le premier temps, consiste pour les débutants à ne rien laisser derrière soi. On ne jette pas ses emballages par terre, on ne laisse pas de bouteilles en verre ou en plastique, on éteint bien son feu. Oubliez tout de suite les coups de couteaux sur le gros arbre pour écrire « Kévin + Brenda = koeurkoeurlove ». Le véritable amour est éternel et n’a pas besoin de cela pour exister. Cela implique de tout ranger en partant, de couper les ficelles qu’on aurait nouées pour se faire un banc, un lit, un abri. C’est disons l’étape des débutants, si tout le monde faisait cela on enlèverait 90% des désagréments et de la pollution touristique en forêt. A ce stade, on pense aux prochains humains à passer par ici.
Le deuxième temps, consiste à donner l’impression que personne n’est jamais venu dans l’endroit que vous quittez, en pensant à la nature plutôt qu’aux prochains randonneurs. De suite, c’est un peu moins simple et moins accessible au plus grand nombre (il faut vite partir la nature c’est mal voyez !) car cela demande de se donner la peine. Au lieu de juste éteindre votre feu, dispersez le charbon à tous vents pour limiter l’impact de chaque morceau qui se désagrégera (au lieu de tout rassembler). Quand il sera bien noyé et froid vous retournerez la terre à la pelle ou au bâton puis vous le recouvrirez de feuilles, ni vu ni connu. Cela aidera visuellement bien sûr, mais aussi cela accélérera la dissolution du bois brûlé et limitera la modification du PH du sol brûlé du fait du feu. Au lieu de lancer au loin vos restes de repas naturels (os, pelures, noyaux), enterrez-les soigneusement au pied d’un arbre qui en tirera grand avantage d’ici une année. Enterrez aussi vos déjections, plantez un bâton dessus, comprenne qui pourra vous aurez la conscience tranquille. Lorsqu’on ramassera ses déchets non-naturels comme dans le premiers temps (base absolue du Zéro Impact) on tâchera idéalement de ramener la poubelle chez soi plutôt que de surcharger la poubelle du parking de la forêt, relevée une fois par mois et qui déborde dès le 10 du mois. C’est l’étape du pratiquant de la nature expérimenté, ou qui du moins essaie de l’être.
Le troisième temps, consiste à réfléchir en amont à l’impact que vous pourriez avoir lors d’un bivouac, d’une randonnée ou d’une expédition pour limiter sa production de déchets dès l’achat ou la confection des menus, et donc diminuer et son impact potentiel sur la nature. Si dans le premier temps on pense aux autres, dans le deuxième temps à la nature, dans le troisième temps on repense sa façon de pratiquer la nature. On évitera les emballages plastiques, mettez la nourriture dans un tupperware lavable par exemple, au lieu de l’aluminium on peut utiliser par exemple du Bee Wrap (emballage réutilisable à base de tissu saturé en cire d’abeille, oui je sais dit comme ça, ça fait bobo-vegan-new-age mais en vrai c’est super cool allez voir). Pourrais-je faire un feu là où je vais ? Sinon ai-je un réchaud à gaz ou à minima, un réchaud à bois (bushbox etc…). Si je dois faire popo, ai-je pris du PQ bio-dégradable (vide de tout produit chimique dangereux) ? Si je me lave dans la rivière ou le lac, ai-je du savon naturel qui ne va pas démonter tous les poissons à 100m à la ronde ? La liste est infiniment longue et demande de faire l’effort de changer sa pratique ou de la perfectionner.
Les cinq piliers à respecter
Le premier : anticipez la sortie, optez pour le bon matériel… Où serais-je, comment disposer de mes déchets, quelles techniques vais-je utiliser pour me laver, faire la vaisselle, faire ma lessive. Comment vais-je dormir ? Mon système de couchage est-il autonome (pas besoin de couper un arbre vivant pour me faire un lit) ? etc…
Le deuxième : repérez les lieux en amont (sortie de préparation ou vue satellite) et repérer le chemin. Pourquoi ? Tout simplement parce que si je veux aller à un endroit précis en coupant à travers une zone vierge, c’est sympa et ça donne envie, mais si tout le monde le fait à force, on détruira juste un bel endroit naturel, potentiellement utilisé par les animaux pour se reproduire, manger, s’abriter. Cela vaut surtout pour les lieux de grand passage comme les sentiers de petite et grande randonnée par exemple, le long des canaux…
Le troisième : repartez avec TOUS vos déchets ma doué benniget (en breton dans le texte) ! Cela vous fait rire car c’est évident, mais si vous saviez… pendant mon tour d’Irlande à vélo, je porte carrément mon vélo dans des rochers pour aller à une crique pommée au bord d’un lac, plus celtique et beau ça n’existe pas. Je marche 20 minutes là où jamais personne n’avait porté un vélo avant. Rond de feu sur la plage, cadavres de bières autour… DAMNED ! Les irish people m’avaient devancé (j’ai tout rangé et ramené les déchets sur le sentier principal, pour ceux qui se demandaient). Pour le popo il y a deux écoles, je suis team « enterre ton nonos » personnellement, mais par exemple sur le Pacific Crest Trail les gardes ordonnent de repartir avec son popo et donc d’avoir une pelle et des sacs comme pour les chiens (ça fait rê-ver !)
Le quatrième : minimisez les modifications que vous apportez à la nature. Il serait illusoire de croire qu’on ne changera pas la nature en étant dedans. Vous empilerez peut-être des cailloux pour ranger le feu au lieu de les lancer au hasard, ou alors comme moi vous aurez des scrupules à disséminer votre beau tas de bois scié en bûches de 50 cm alors peut-être comme moi vous l’empilerez proprement sous un arbre pour « le con qui passe » comme on dit. L’idée est d’essayer de ne rien abîmer, ne pas cueillir des fleurs si vous n’en voyez qu’une dans la zone (#Edelweiss #AstérixChezLesHélvètes), ne pas couper de bois vert, ne pas braconner dans la mesure du possible (si le lieu est infesté de lapins mutants, on comprendra, si vous prenez le seul vison de la forêt…), et bien sûr le feu. Si vous pouvez faire un beau trou puis le recouvrir de pierres au fond, terre (sans rien d’autre) par dessus puis pierre puis terre pour que ça déborde un peu de votre trou (mini-table-à-feu) ce serait l’idéal pour éviter que votre feu soit au contact direct du sous-sol (le feu y provoque de méchantes modifications du PH qui en ont une no-insect-zone). Mon copain Jacob avait une astuce que je partage volontiers en rangeant un feu, il posait tous les gros bouts de bois charbonnés inclinés sur une bûche intacte, le charbon vers le haut. Cela permettait, m’expliquait-il, de favoriser l’absorption et la dissolution du charbon (pluie, vent, soleil, pluie, vent, soleil).
Le cinquième : respectez la vie sauvage ! Que ce soit en période de reproduction, de naissance, ou en période lambda, vous êtes dans la nature chez les animaux, et non l’inverse. Ne dites pas « il y a un cerf sur la route » mais « il y a une route au milieu de la forêt où vit le cerf ». Vous comprenez l’idée ? En forêt, en montagne, à la mer, en rivière, vous êtes dans la nature, et si clairement pour moi l’humain est un animal comme les autres (mêmes droits, mêmes devoirs), puisque beaucoup de gens prétendent que nous ne sommes plus des animaux, reconnaissons alors qu’ils y sont plus chez eux que chez nous. Donc évitons de tripoter les bébêtes (je pense à vos 7-8 ans qui adorent tout attraper), de déranger par trop leurs zones de vie, d’empiéter dans leur zone de chasse. Leur habitat est déjà bien réduit, laissons les mamies faire (mammifères…). De plus, pensez aux grands espaces sauvages, si vous dormez à deux pas d’une tanière d’ours, que l’ours visite votre campement la nuit car vous avez été négligeant (masquer les odeurs, suspendre les victuailles, ne part dormir où l’on a mangé), si ça se passe mal : c’est l’ours qui sera abattu parce que vous ne saviez pas tenir votre place dans la nature. Pensez-y. Exemple parlant en Europe : le randonneur qui craque pour un bébé faon laissé « tout seul » dans un roncier et qui bien sûr va l’aider, le pauvre bambi perdu en forêt. En fait il n’est pas perdu, il attend sa mère, il n’est pas « perdu en forêt » il est dans sa chambre, sa mère ne l’a pas abandonné, elle est partie manger parce que le machin tète 4L de lait par jour et qu’il faut bien ré-approvisionner la machine.
Sur le site officiel vous verrez qu’il y a 7 principes, mais au final je les ai tous résumé en seulement 5.
Conclusion
Le Zéro Impact sait bien que rien n’est parfait, qu’on ne peut pas faire « comme si on était jamais venu » et puis ce n’est pas le but de s’empêcher de vivre non plus. J’entends par là, il y a 300’000 ans quand nous étions de beaux énergumènes vêtus de peaux et que les droits de la femme se limitaient fort peu glorieusement à la manière de les traîner par les cheveux pour rentrer à la grotte, nous étions contents de trouver des signes de passage. Pour localiser le village d’hiver par exemple, on suivait sûrement des sentiers précis, tracés par le passage humain. On marquait des repères sur les parois rocheuses, on plantait des bâtons, on montait des inukshuks (einh ?) qui tenait des années. Lorsqu’on trouvait une entrée de grotte avec un rond de pierres pour le feu, on savait que des humains avaient dormi ici en sécurité, donc on s’installait avec plaisir.
De tout temps l’humain a tiré profit des impacts animaliers sur la nature. Si on croisait un guépard qui venait de tuer une antilope, on le faisait partir puis on se découpait un bon steak pour la soirée. si le soleil avait fait poussé des baies là où un ours avait posé sa pêche (poète), on les cueillait à foison et on se remplissait la panse le soir venu. Si on trouvait un mammouth mort, on prenait ses os pour se faire une habitation, ou sa peau pour se faire un abri, des vêtements… C’est tout bêtement la définition de l’opportunisme. L’impact créer des opportunités. L’humain qui laisse sa carcasse de poulet sur un campement, nourrira peut-être une famille de renard. Mais ! Il créera forcément un impact, qui aura des répercussions. Le renard va identifier le poulet comme étant vachement bon, un jour il trouvera un endroit avec des os de poulet jetés pour un chien, près d’une ferme… il comprendra que les poulets vivants c’est en fait l’ancêtre de l’os de poulet sans viande. Combien de fois réussira-t-il à ramener un poulet à ses gamins avant que le fermier ne le tue ? L’impact de l’humain sur la nature sauvage est insoupçonné, et comme nous n’en maîtrisons pas tous les tenants et aboutissants, contentons-nous déjà d’en limiter les conséquences, pas simplement visuellement pour la beauté du prochain marcheur, mais aussi en profondeur pour ne pas nuire à la nature.
Cette fin d’article en mode Ushuaïa ne vous a pas tiré une petite larmichette ? Et pourtant, c’est sincère. Sans se vouloir moralisatrice ou parfaite, la doctrine du Zéro Impact a le mérite d’exister et nous avons le devoir d’au moins essayer de l’appliquer. Comme on dit chez les scouts, faisons de notre mieux.