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survie garrot sang formation secourisme forestier

-I- Introduction de l’article

« Vite, vite, il pisse le sang ! ». Quel bon blockbuster n’a pas sa petite effusion de sang ? Ses blessés en pagaille qu’il faut opérer de toute urgence sur le trottoir avec un couteau suisse ? Et le héros du film qui sort sa belle ceinture en cuir et paf d’une main il tient l’immeuble qui va s’écrouler, de l’autre il pose la ceinture qu’il serre avec les dents… Trop fort !

Mais sinon dans la vie, il y a des gens qui meurent d’avoir manqué de garrot… parfois il y en a même qui meurent d’avoir eu un garrot… pas simple non ? Nous avons donc réuni quatre personnes évoluant dans le milieu de l’urgence pour nous donner une réponse nuancée et argumentée sur le garrot.

Cet article leur laissera grandement la parole afin de trancher une fois pour toute aux on-dits sur les réseaux sociaux et les approximations de personne mal[in]formées. Il existe depuis un petit moment des débats politiques ou pédagogiques sur le garrot, nous les laisserons largement de côté pour nous focaliser sur la technique médicale pure. Si au fil de l’article, un professionnel de santé constate une erreur ou une nuance à apporter, contactez-nous et argumentez votre avis. S’il est avéré et pertinent, il sera ajouté avec plaisir à l’article.

NB : avant d’aller plus loin, Julien nous conseille au mieux de suivre des cours de secourisme afin de comprendre correctement l’article et pouvoir se l’approprier pour une hypothétique pratique, au pire d’étudier l’anatomie du corps humain, la base niveau lycée, accessible facilement sur internet.

-II- Les questions aux intervenants

1) Débutons simplement : c’est quoi un garrot au fait ?

C’est un dispositif de contrôle des hémorragies externes interrompant totalement la circulation du sang en amont d’une plaie, qui se pose uniquement sur un membre. En secourisme, on définit une hémorragie comme un saignement abondant qui remplit un morceau de tissu en quelques secondes et qui ne s’arrête pas spontanément. En médecine, on les distingue selon l’origine du saignement. Exemple : hémorragie artérielle, veineuse ou capillaire. Au sens large du terme, si on ne sait pas on parle de vaisseau, qui représente les trois.

Remarque importante : si vous voulez posséder un garrot, il doit être prêt à l’emploi (non-démonté), sorti de son emballage et accessible rapidement (quelques secondes). Julien ajoute qu’il ne faut jamais faire de nœud sur la sangle, afin de pouvoir faire le tour d’un membre enseveli ou incarcéré (avec un nœud on ne peut plus ouvrir entièrement le garrot pour englober le membre au lieu de le « coiffer »).

2) Ils sont tous pareils, ou bien il en existe différentes sortes ?

Il existe de nombreuses variantes (selon le pays, l’origine médicale ou militaire)., au nombre de quatre. Que ce soit à tourniquet, à cliquets, élastiques ou pneumatiques. On s’intéressera dans cet article aux deux premiers, car les garrots pneumatiques sont réservés à du personnel médical et les garrots élastiques sont fortement déconseillés (nous en reparlerons).

Tourniquet : c’est une sangle ressemblant à une ceinture, qui revient dans une boucle pour repartir en sens inverse et un scratch/velcro qui permettra d’immobiliser la sangle, le temps de recourir à une barre qui en tournant plusieurs fois, renforce l’action de serrage de la sangle initiale et arrêtera le saignement. Il est important de serrer franco la sangle dès le début, cela évitera d’avoir à faire trop de tours avec la barre par la suite. Une fois l’hémorragie arrêtée, on bloque la barre dans une partie en C qui va l’empêcher de tourner dans l’autre sens, maintenant ainsi la pression et libérant les mains du sauveteur. Sur les marques courantes, on peut placer un velcro sur l’ouverture du C pour éviter un éventuel décrochage du tourniquet et sur ce velcro on peut noter l’heure de pose. A ce propos, si vous êtes dans un pays étranger, évitez de noter 15h30, préférez un langage universel, 3:30PM par exemple.

Cliquets : il ressemble beaucoup au garrot à tourniquet, sauf que la sangle n’est pas maintenue par velcro mais par une double boucle et la mise sous tension ne se fait pas par rotation, mais par une sangle à cliquets (comme sur des rollers ou des bottes de ski) qui est crantée et est attirée sous le clips à chaque levée du cliquet. On trouve parfois une petite sangle annexe à côté du cliquet et de couleur claire pour écrire dessus l’heure de pose. Sinon, choisissez un modèle de couleur claire et vous pourrez écrire directement dessus à l’indélébile, mais généralement on écrit sur la victime directement. De façon générale concernant les couleurs, privilégiez le flashy (orange > CAT ; rouge > RMT…) pour un usage civil afin d’augmenter la visibilité du garrot pour les secours.

Élastiques : plus couramment utilisé en milieu médical pour des compressions légères et temporaires (don du sang, urgences) le temps de clamper une artère ou de poser une voie (aiguille). C’est un élastique puissant, plus ou moins large pour ne pas lacérer la peau, parfois de couleur vive afin de le trouver facilement sur un plateau de soins. Sa simplicité et son efficacité limitée en font quelque chose de réservé aux situations légères et hospitalières. Ce type de garrot est même interdit comme garrot d’urgence dans les référentiels de formations au secourisme . Il existe des garrots typés opérationnels élastiques, comme par exemple le modèle Swat-T (image en bas). Nous ne le recommandons pas du tout, il ne répond pas à la plupart des critères importants et habituels pour un garrot. On ne peut pas contrôler le degré de compression, pour l’ajuster ou le resserrer il faut défaire ce qui va à l’encontre d’un garrot car cela relancera aussitôt l’hémorragie. Par contre, ce modèle-ci (Swat-T) n’est pas dénué d’intérêt en tant que strapping pour maintenir une articulation ou une attelle, ou pour faire un pansement compressif.

Aux USA les directives médicales militaires se nomment les T3C (ou TCCC) : les soins tactiques aux blessés au combat, dispensées par le Comité (CoTCCC ou CoT3C). Elles sont complètes, courtes et fonctionnelles, si bien qu’elles sont devenues une référence dans beaucoup d’armée au monde et de ce fait dans une bonne partie du corps médical. Pour choisir un bon garrot, Julien nous rappelle que se fier au CoTCCC est la chose à faire, action validée par Nico qui nous donne en annexe un extrait (tableau) de l’étude ayant permis au CoTCCC de créer son propre classement de garrots qu’ils recommandent. L’étude se nomme Recommended limb tourniquet in tactical combat casualty care avec notamment un docteur spécialisé du domaine nommé Harold Montgomery. Ce tableau donne des notes précises pour chaque critère vital (les garrots qui enchaînent les notes basses/rouges, sont donc à proscrire).

3) Toutes les marques se valent ? Existe-t-il un marché de contrefaçon dont il faut se méfier ?

Oh que non ! Toutes les marques ne se valent pas bien au contraire. C’est même tellement dangereux parfois qu’on se rapproche d’un réel danger causé à autrui. Dans le contexte actuel (attentats, nouvelles technologies, nouvelles menaces) et au vu des recommandations en matière de premiers secours, les fabricants proposent de nouveaux dispositifs, la course aux chiffres de vente peut parfois forcer à utiliser du matériel bas de gamme, qui ne tiendra pas le choc. Imaginez la pression énorme mise sur le matériel lorsque vous le mettez sous tension. Face à ce choix grandissant et des campagnes de publicité parfois à la limite du mensonge, il est difficile de bien choisir.

Au-delà de la provenance douteuse de certains garrots (marché asiatique à 5€ pièce, par exemple), un garrot doit remplir plusieurs fonctions, pas juste arrêter un flux sanguin, qui est sa fonction première mais pas l’unique.

> Il doit pouvoir arrêter tout flux sanguin sur tous les membres et toutes tailles de membre. Statistiquement on a constaté que souvent les membres de plus de 64cm de circonférence nécessiteront un deuxième garrot en parallèle (au dessus) pour parvenir à l’occlusion. Qui peut le plus peut le moins, dans cette logique mieux vaut prendre un garrot qui soit recommandé et éprouvé par les professionnels, qui sera donc forcément d’une longueur suffisante pour les membres épais et assez efficient pour être efficace. On ne sait jamais qui aura besoin de notre garrot.

> A quelle vitesse peut-il être mis en place ? Une fois sorti, il doit être posé en quelques secondes (le débit sanguin par seconde est effrayant, chaque seconde perdue compte sur une moyenne de 5-6L de sang total).

> Est-il prévu pour ne pas glisser entre des mains pleines de sang, qui plus est si je me l’applique sur moi alors que je suis en état de choc hypovolémique ?

> Est-ce qu’il résistera à un mouvement brusque, ou bougera / lâchera ?

> Est-il prévu pour résister à des conditions climatiques pénibles (pluie, neige, boue, grosse chaleur qui dilate ou fragilise notoirement le plastique) ?

> Est-il suffisamment large pour ne pas accroître inutilement la douleur de la victime ? De nombreux retex font état de victimes tentant de retirer ou desserrer un garrot à cause de la douleur occasionnée par la compression. De plus, le but d’un sauvetage n’est pas d’aggraver l’état de la victime, ce point est donc important. Par ailleurs les garrots fins augmentent le risque de lésions tissulaires et nerveuses. Voilà un argument en défaveur du garrot RATS, par exemple.

La liste des questions est encore longue, mais vous aurez compris la différence entre un garrot à 5€ et un garrot à 30-50€. Pour conclure, si vous ressentez le besoin d’acquérir un garrot, c’est que vous pensez en avoir besoin un jour (ou que vous avez peur que le besoin surgisse sans être équipé). Dans cette optique, vous aurez alors la vie d’une personne, voire la votre, entre vos mains. Pour sauver une vie, cela vaut le coup d’investir. Sachant que si la victime s’en sort, vous pourrez toujours lui envoyer la note en plaisantant et peut-être vous remboursera-t-elle sans hésiter, pour en racheter un nouveau ?

4) Quand doit-on poser un garrot ?

Si vous demandez à Julien ou Christian, travaillant en hôpital, ils vous dresseront fidèlement une liste d’une quinzaine de moments où il faut poser un garrot. Afin de recentrer un peu, nous focaliserons les réponses sur les cas les plus courants, et un ou deux cas plus rares.

> l’incontrôlable : devant toute hémorragie non-contrôlable par une compression directe, parce que la plaie est inaccessible, ou présente un corps étranger, ou une fracture ouverte, ou que la victime ait plusieurs hémorragies

> l’inefficacité : parfois il arrive que même en appuyant correctement, pour différentes raisons, le sang ne s’arrête pas, dans ce cas un garrot verrouillera l’hémorragie de façon sécurisée. Parfois, même avec un premier garrot (ils n’ont pas 100% de réussite) l’arrêt du saignement est inefficace, il ne faut pas hésiter à le resserrer un peu, et en cas d’inefficacité réelle, procéder à la pose d’un second garrot quelques centimètres au dessus, nous confie Julien.

> l’isolement : dans une situation d’hémorragie dans un lieu reculé ou isolé, où le secouriste doit s’éloigner pour prévenir ou guider les secours, ou s’il est lui-même blessé et a peur de s’évanouir pendant qu’il comprime

> l’accident à multiples victimes : dans une situation d’hémorragie sur le lieu d’un accident avec de multiples blessés à traiter, le secouriste seul ou en sous-nombre ne peut pas rester comprimer une plaie

> le préventif : sur tout traumatisme suspecté de virer à l’hémorragie, placer un garrot sans le serrer permettra de verrouiller un éventuel saignement en quelques secondes (ex : fracture ouverte avant une mobilisation de la victime).

5) Quand ne doit-on surtout pas poser un garrot ?

Réponse pragmatique mais logique : quand l’on n’est pas dans une des cinq situations ci-dessus ! Plus sérieusement, on ne pose jamais un garrot sur une articulation car c’est inefficace et délétère (dangereux). Bien sûr, on ne pose pas de garrot en cas de saignement léger ou si une compression directe arrête l’hémorragie (cf. le pansement compressif dit israélien).

Pour information, ce n’est PAS parce qu’en retirant la compression, le sang repart, que c’est une hémorragie. Sur une plaie bien ouverte le sang restera fluide en surface pendant des heures avec de coaguler, voir nécessitera un traitement médical approprié (sutures, agrafes, colle…). On dit que l’on contrôle une hémorragie quand en appuyant dessus avec sa main ou un tissu propre, une compresse, une gaze… le sang ne jaillit plus hors du corps. Et enfin, on ne pose jamais un garrot au cou, pour des raisons évidentes de besoins respiratoires.

6) Gros débat sur la zone de pose : faut-il le placer au plus près de la plaie ou à la racine du membre blessé ?

Le garrot doit être mis en place ENTRE la plaie qui saigne abondamment ET la racine du membre blessé, à quelques centimètres de la plaie et pour rappel, jamais sur une articulation. Voici la phrase à retenir.

Nos secouristes précisent un point essentiel à ce sujet. Dans le temps, le garrot était un bout de tissu et un bout de bois. On se doute que la compression n’était pas optimale, un garrot distal (vers l’extrémité du membre) passant nécessairement sur une zone à deux os (radius et ulna) n’arrêtait pas franchement l’hémorragie. La norme est donc devenue le garrot proximal (proche de la racine [aine… aisselle…] donc loin de la plaie). De nos jours, nous avons du matériel très efficace qui passe outre ce problème, donc il peut être efficace aux deux endroits selon la situation, que nous voyons à présent. Kil Roy ajoute qu’on peut même se permettre de poser un garrot improvisé en distal (sur une extrémité), cela ne tient pas forcément à la qualité du matériel mais à votre technique. Si c’est bien fait et qu’il n’y a pas de complication, deux os ou pas, le saignement s’arrêtera.

La différence de pose, avec du matériel moderne (non-improvisé) tient au temps que l’on a pour intervenir et à la simplicité de l’action. Dans le civil, un motard se sectionne la jambe sur une barrière de sécurité, si on est présent à ce moment là, on privilégiera une pose entre la plaie qui saigne et la racine du membre, à quelques centimètres du saignement (distal). Une seule victime, du matériel rapidement accessible, pas d’autres dangers, on peut se permettre le sur-mesure. Dans une situation dégradée (guerre, SNV = victimes nombreuses) il sera plus simple et rapide de le poser à la racine du membre, ainsi on ne perd pas de temps à chercher la plaie, à réfléchir au meilleur emplacement du garrot, ou à s’exposer à un sur-danger (ennemi, sur-accident routier).

7) Pourquoi est-ce dangereux de poser un garrot ?

Poser un garrot dans les bonnes conditions (vue plus haut) n’est pas dangereux, au contraire, il sauve une vie sur le point de s’éteindre du fait d’une perte sanguine importante. La balance bénéfice / risque est largement positive et sans équivoque.

Toutefois, poser un garrot entraîne des conséquences, c’est pour cela qu’on ne le pose qu’en dernier recours. Il va causer une douleur incroyable sur la victime (imaginez que si l’élastique au don du sang est légèrement désagréable, multipliez la compression par 3, 4, 5…). Il risque de causer des légions tissulaires, musculaires ou nerveuses. Il va déclencher une accumulation de toxines et de déchets habituels dans le membre comprimé qui, au moment du retrait du garrot, peut entraîner un crush syndrome. En résumé, cette libération si elle est trop subite provoquera un important choc sur votre corps, entraînant : hypotension, excès de myoglobine dans les reins, œdème croissant, ischémie, paralysies, acidose, hyperventilation ou détresse respiratoire (embolie graisseuse), élévations majeures de la kaliémie et donc troubles cardiaques (au pire, un arrêt cardiaque).

8) Afin de m’entraîner sérieusement, puis-je « jouer » avec mon garrot en le posant sur moi, sur un ami ? Est-il réutilisable ?

Le garrot restera intact si on ne fait que l’enfiler sur un membre pour le montrer dans un contexte plus anatomique que théorique. Si on commence à jouer avec le scratch et le soumettre à tension, même 2-3 tours pour simuler sans réelle sensation d’enserrement, considérez-le comme perdu pour le terrain (les fabricants préviennent bien que toute utilisation fragilise par trop le produit pour le ré-utiliser ensuite). Raison pour laquelle, pour des stages de secourisme ou de survie, avoir des modèles à 5€ devient intéressant, à condition de bien les distinguer du vrai matériel médical.

Concernant l’aspect réutilisable (après une véritable hémorragie), une infirmière nous précise de façon très honnête et pragmatique : « Déjà qu’aux urgences on a du mal à restituer le matériel durable des pompiers, alors un garrot plein de sang, retiré dans le feu de l’action quand on sait toute l’attention à apporter à la victime ensuite, finira très certainement à la poubelle ». Na !

Par contre, certains modèles sont si robustes qu’ils sont garantis pour plusieurs usages, mais cela est clairement établi par le fabricant et bien inscrit sur le garrot. C’est le cas du modèle RMT, donné pour 30-40 utilisations selon l’état de la sangle micrométrique. Vous vous en doutez, il est plus cher c’est évident, mais de qualité.

En terme d’entraînement, on peut techniquement poser un vrai garrot, quelques secondes (disons une minute pour être rigoureux) pour en ressentir les effets ou la difficulté à arrêter le sang, cela n’amène pas de risque vital. Néanmoins, la pose reste douloureuse et peut provoquer des rougeurs voire des hématomes. Ce n’est pas recommandé dans les référentiels de formation (PSC1, PSE, AFGSU) par exemple. Donc si on le fait, il faut réellement le retirer juste après la pose, de préférence par une tierce personne qui aura ses deux mains et une meilleure position certainement.

9) Cela fait plusieurs heures que j’ai appelé les secours, ils ne me trouvent pas car je suis en pleine nature. Puis-je desserrer un peu le garrot ? J’ai entendu dire que sinon la victime pouvait perdre le membre.

En tant que secouriste ou primo-intervenant, on ne desserra JAMAIS un garrot ! Ils insistent tous sur JAMAIS. Il faut une équipe médicale pour parer à tous les problèmes qui pourraient subvenir au retrait (le bon matériel + une personne par problème = meilleure chance de survivre). Il faut également un traitement approprié à la victime (injections notamment) pour anticiper le contre-coup du garrot. Nous ne disons pas qu’il faut assommer la victime si elle essaye de le retirer ou de le desserrer, mais il est vital qu’un garrot posé et ayant arrêté une hémorragie, ne soit plus touché jusqu’à l’arrivée à l’hôpital. De toute façon, les personnes habilitées à le retirer, le savent si elles ont le droit ou non, si vous ne savez pas, c’est que vous n’avez pas le droit. On applique alors la doctrine militaire : objet inconnu, touche à ton ! Oui, il manque le mot, bien vu.

On connaît néanmoins les conséquences de la pose du garrot. Au-delà de 2 heures on estime qu’il y aura des lésions neurologiques irréversibles. Au-delà de 4 heures on estime le risque de crush syndrome important. Au-delà de 6 heures, on sait que le risque d’amputation sera très élevé. Mais de nos jours, la perte du membre est rarissime et implique quasiment à chaque fois une absence de prise en charge médicale pendant plusieurs heures. Voir la partie IV tr_s détaillée, réalisée par notre doc, Christian.

Par contre : en attendant les secours, ne couvrez jamais un garrot, les secours pourraient l’ignorer en évacuant la victime (inconsciente ou trop en état de choc pour le signaler) et ne réaliser que trop tard sa pose. Une fois le saignement arrêté, inutile de continuer à serrer davantage (pensez aux lésions), on bloque le garrot et on n’y touche plus. Sur une amputation, le membre gonfle naturellement en réponse à ce stress corporel. Dans ce cas il faut anticiper le dégonflement attendu du membre quelques minutes / heures plus tard par une surveillance constante sur la plaie, qui va très certainement se remettre à saigner. Il faudra alors rajouter un peu de tension.

10) Si je n’ai pas le superbe garrot tout prêt dans mon sac, que puis-je utiliser ? Que ne dois-je surtout pas utiliser ?

Le seul modèle de garrot improvisé réellement fonctionnel est le garrot tourniquet, mais nous parlerons quand même du garrot simple pour mémoire, car il serait dommage de se priver de bon sens dans une situation catastrophique. Notez bien que c’est le garrot qui doit être improvisé, pas votre technique. Si on ne sait pas quand on en aura besoin, on sait en revanche qu’en s’entraînant régulièrement on augmente ses chances de bien maîtriser la manipulation. Nico nous rappelle qu’une étude a montré sur les poses de garrots analysées, dans 99% des cas ils échouaient avec la technique dite de garrot simple, contre 32% d’échecs seulement avec un tourniquet. Cela tranche net le débat, surtout quand on apprend qu’en anglais un garrot se dit a tourniquet, Shakespeare a donc depuis longtemps choisi son type de garrot.

> le garrot simple est un lien placé sous tension mais sans barre. On pense à une ceinture, une cravate, un foulard (surtout pas un lacet, trop fin qui pourrait lacérer la peau et la chair). On devine donc que sa tension comparée à un tourniquet, sera amoindrie et son efficacité de même. Partons du principe que, si c’est ça ou ne rien faire, il faut agir. Toutefois vous gagnerez vraiment à chercher du regard pendant quelques secondes un objet faisant office de barre (de 99% d’échec sans barre à 32% seulement avec barre, rappelez-vous).

> le garrot tourniquet, comment dit plus haut dans l’interlude historique de l’article, nécessite un lien assez long et large également, résistant, et un objet solide et droit (genre bâton). Évitez les stylos bic qui vont certainement casser, préférez quelque chose de solide (couvert en métal, outil non coupant, branche d’arbre lisse). Nico nous donne une petite liste usuelle d’objets que tout un chacun peut posséder : une clé de serrage (manivelle pour démonter un pneu crevé), un grand mousqueton utilisé un peu comme une poignée rotative, une petite lampe tactique, deux baguettes chinoises (vu dans une étude anglaise de 2016 publiée au PUBMED : une seule casse, deux tient à 80% des tests) qui tiennent mieux que deux stylos ou que deux bâtons de glace. On constate en cherchant des objets alternatifs qui serviraient de barre et qui tiendraient le choc, hormis être dans un atelier ou sur un chantier avec plein d’outils ou de barre à béton, on aurait du mal à trouver l’objet idéal. Cela est un argument supplémentaire en faveur de l’achat d’un garrot tout prêt, pour 30€, car l’improvisation a de nombreuses limites.

Voici un reportage intéressant proposé par Kil Roy, les photos et la vidéo de pose sont en lien ci-après, pour comprendre les explications.

POSE D’UN GARROT IMPROVISÉ, par Kil Roy (spécialisé notamment en sauvetage, donc sans matériel) :

> Contexte : multiples victimes, compression sur un membre impossible ou inefficace, etc…

> Matériel nécessaire : lien en tissu solide et non-élastique, 1m50 minimum, 3-5 cm de large (cravate, écharpe fine, drap déchiré, sangle, ceinture de judo, etc…)

> Localisation : entre la plaie et le cœur, quelques cm au dessus de la plaie et jamais sur une articulation

> Objectif : arrêter l’écoulement du sang en augmentant la pression à la surface de l’artère, le but n’étant pas d’écraser l’artère contre l’os. Il est parfois possible de le poser même sur un membre à deux os car on constaté que le but était d’augmenter la pression à la surface de l’artère plus qu’à l’intérieur (contre-pression). D’où l’importance d’utiliser un lien large pour répartir cette pression et en augmenter l’efficacité.

> étapes de pose d’un garrot tourniquet improvisé :

1- Choisir le lieu de pose du garrot et découper doucement le vêtement pour dégager visuellement la zone(photo 1)

2- Faire deux tours autour du membre avec votre sangle (photo 2)

3- Faire un nœud simple (photo 3)

4- Poser un bâton solide de 10 à 20 cm de long sur ce nœud (photo 4)

5- Faire un double nœud par dessus le bâton (photo 5)

6- prendre le lien restant (photo 6) faire une boucle et la passer sous le garrot (photo 7)

7- tourner le bâton jusqu’à obtenir l’arrêt du saignement (photo 8)

8- passer le bâton dans la boucle, (photo 9) tirer le lien pour serrer la boucle et verrouiller (photo 10)

9- Notez l’heure de pose du garrot (photo 11)

> les photos et vidéo ici : https://www.facebook.com/kil.roy.92754/posts/455488365773023

-III- En résumé (si vous ne lisez qu’un bout, c’est celui-là)

– le garrot est un ultime recours pour arrêter une hémorragie sur un membre seulement, rarement utilisé.

– il n’est posé que si les autres techniques ne fonctionnent pas (point de compression manuelle, pansement compressif, obstruction de la plaie par méchage [en anglais wound packing]) ou ne peuvent pas être réalisées, face à un risque élevé de mort.

– le garrot se pose au plus près de la plaie, à quelques centimètres au dessus, sauf si la plaie est inaccessible (membre enseveli ou incarcéré) ou en cas d’amputation (un garrot distal pourrait glisser vers le moignon, plus fin et tomberait de la jambe + les artères sous le choc vont se rétracter et un garrot distal n’aurait rien à comprimer) ou la situation multi-victimes (pas le temps d’évaluer la plaie en détail = pose à la racine) ou enfin en « zone rouge » (zone de guerre ou d’attentat) dit aussi zone chaude = danger.

– une fois le garrot posé, cela lance un chronomètre aggravant progressivement les conséquences.

– il faut impérativement noter l’heure sur le garrot / sur la victime (front + feutre indélébile).

– une fois posé avec succès (l’hémorragie est arrêtée), je n’y touche plus : un retrait sans assistance médicale peut provoquer la mort qu’on voulait éviter.

– le mythe autour du garrot vient du fait qu’il peut entraîner de nombreuses complications, sur le terrain ou une fois à l’hôpital et qu’il doit être posé selon plusieurs critères, que tous ne maîtrisent pas. De plus, il y a une mémoire collective tenace d’une époque plus ancienne ou faute de performance on le posait systématique à la racine du membre. Cela fait que certaines années des organismes ont décidé de ne plus l’enseigner sur certaines formations de secourisme, d’autres années on le remet… C’est ainsi, espérons que cela se stabilise un jour.

-IV- TOPO sur les complications médicales liées au garrot (réalisé pour l’occasion, par Christian)

  1. Complications locales :

a. Lésions tissulaires directes : par ischémie (chute de l’apport en oxygène) ou par cisaillement

b. Douleurs : le garrot provoque des douleurs après 30 à 60 minutes

c. Paresthésies : après 2h30 à une pression de 350 mmhg (fourmillement dans les extrémités dues au manque d’oxygène du nerf et à sa compression par le garrot

d. Nécrose cellulaire : après 90 à 120 minutes le garrot provoque une nécrose cellulaire et des lésions musculaires qui pourront persister plusieurs mois

  1. Complications générales :

a. Troubles métaboliques : à partir de 15mn de pose, au lâchage du garrot, du potassium (K+) va être libéré dans la circulation sanguin, provoquant une augmentation de la kaliémie et des lactates, pouvant provoquer des troubles de la repolarisation cardiaque et une acidose métabolique

b. Risque thrombo-embolique : le garrot peut entraîner des ischémies artérielles par thrombose (caillot obturateur), et des embolies d’athérome (plaque athéromateuses recouvrant la paroi artérielle et se détachant pour migrer dans la circulation sanguine et provoquer des embolies pulmonaires)

c. Syndrome du compartiment, ou syndrome d’ischémie reperfusion : le garrot provoque entre autre une vasodilatation des vaisseaux (augmentation du calibre des artères et veines ) et une augmentation de la perméabilité capillaires : ces mécanismes s’amplifient avec la durée de pose du garrot

Au lâchage du garrot, ces mécanismes provoquent une augmentation importante du volume du membre par augmentation de taille des faisceaux musculaires : le membre peut atteindre jusqu’à 150 % de sa taille normale.

Cette augmentation de volume est très mal tolérée dans les loges musculaires, ces loges n’étant pas extensible : douleur très intense du a la diminution progressive du débit sanguin locale par compression des vaisseaux sanguins par les faisceaux musculaires dilatés. Si l’interruption de la circulation sanguine est complète, l’ischémie sera importante avec mise en jeu de la viabilité du membre. Le chirurgien devra réaliser en urgence des aponévrotomies de décharge : inciser les loges musculaires afin de faire rapidement baisser la pression.

-V- Documents annexes

1) En savoir davantage sur le crush syndrome :
http://infirmierderea.unblog.fr/2017/01/22/crush-syndrom/?fbclid=IwAR2NxOkxceUTmUbWSfjk8DQHIRbUr3cS8EsLGdbJJomNbE86o41R_6d9Vro

2) Document sur les flux de circulation (pulmonaire et systémique) :
https://coeur-artificiel-tpe.jimdofree.com/circulation-sanguine/

3) Vous voyant venir gros comme une maison avec votre question « mais du coup, lequel conseillez-vous », voici le tableau de notation effectué par le Comité TCCC (vert : remplit les critères ; jaune : passable ; rouge : insatisfaisant) :
https://tacticalrescue.it/wp-content/uploads/2020/02/Tourniquet_Scoring_Chart.6d9188-1-1024×759.png

4) Document de 2017 sur les TCCC (54 pages en langue anglaise) :
https://emsa.ca.gov/wp-content/uploads/sites/71/2017/07/TCCC_Quick_Reference_Guide_2017.pdf

> On y apprend notamment que l’indication de placement de garrot tient pour eux en une phrase, traduite en français : « si l’utilisation d’un garrot à tourniquet est indiquée, placez le tourniquet « Haut et Serré » si la zone de saignement n’est pas facilement identifiable ». Comme quoi, même eux laissent une chance au garrot distal si l’origine de l’hémorragie est facilement identifiable, pour répondre à l’éternel débat « où le placer ».

> Version 2019 en format word/pdf et plus courte : https://jts.amedd.army.mil/assets/docs/cpgs/Prehospital_En_Route_CPGs/Tactical_Combat_Casualty_Care_Guidelines_01_Aug_2019.pdf

5) Un vétéran du corps médical militaire US reprend la liste suggérée par le CoTCCC (avec photos) :
https://wms.org/magazine/1245/tourniquet

6) Une thèse sur le garrot tourniquet, réalisée par Mme BEAUCREUX Charlotte à l’université de Paris, Dumas-01732764￿ :
https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01732764/file/ThExe_BEAUCREUX_Charlotte_DUMAS.pdf

-VI- Nos intervenants pour cet article.

ChristianChristian a été médecin convoyeur et régulateur au SAMU pendant 6 ans. Il alterne désormais entre le SAMU, les urgences en maison médicale et les cours pour les futurs médecins.
JulienJulien est depuis 2 ans infirmier en médecine intensive et réanimation (dont réanimation polyvalente en Trauma Center N1) et secouriste pour la Croix Rouge depuis 6 ans (dont 2 ans avec les marins-pompiers de Marseille)
Kil RoyKil Roy (pseudo) est un ancien secouriste de la protection civile désormais formateur au secourisme (intervention avec matériel) et au sauvetage (intervention sans matériel). Il tient une page facebook sur laquelle il publie des conseils en prévention des risques et des retex à destination du grand public.
NicoNico a officié 10 ans au sein du Bataillon de Marin-pompier de Marseille et est désormais formateur PSE.
RenanRenan, votre humble et béotien rédacteur, est moniteur de survie et de bushcraft depuis 4 ans et fondateur de la Skol Louarn.

A eux quatre, ils réunissent des centaines d’heures de pratique, de théorie, de biologie, de saignements, d’interventions sur le terrain avec ou sans matériel.
Merci à eux d’avoir pris le temps de répondre aux questions, sans ça nous n’aurions pas eu la prétention de rédiger cet article.
Merci également à la communauté SURB (Survivalisme Urbain Rural et Bushcraft) d’avoir permis cette improbable rencontre.

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Renan

Fondateur et moniteur à la Skol Louarn

2 Replies to “– ON FAIT TOMBER LE MYTHE DU GARROT – LE GARROT EN 10 QUESTIONS”

  1. Que faire si la victime ayant bénéficié d’un garrot se situe à plusieurs jours d’intervention des secours ? Est-ce fatal pour la victime ? Cela présente-t’il un intérêt ?

    1. Bonjour Franckybio,

      Tout d’abord, merci pour votre intérêt envers notre article.

      Ensuite, il faut savoir qu’en France cela n’arrive pas, les secours sont toujours prévenus rapidement et arrivent à intervenir sur un blessé en 1h à 2h (même en montagne ! merci les hélicoptères).
      On a tous peur de se retrouver dans ce genre de situation, donc on pense au fameux « oui mais et si quand même… ».

      Il faut savoir qu’on ne retire pas un garrot sans une équipe médicale autour pour contrer les effets de l’accumulation de toxines et de potassium (ions K+), notamment par des injections, un desserrement très lent pour pouvoir maîtriser les constantes de la victime etc… Donc après 6h, sans amputation, il y a de fortes chances pour que l’état de la victime commence à s’aggraver, tendant vers la mort. Si jamais l’amputation semble envisageable, car vous êtes perdus au milieu de la jungle et que personne ne répond et qu’il faudra marcher 3 jours… ma foi, la victime va mourir sans intervention, je suppose que le mieux est de tenter l’amputation.

      Maintenant, sans connaissances médicales c’est compliqué, si un caillot se forme puis est expulsé, l’hémorragie va reprendre ; sans une parfaite hygiène lors de l’intervention, le patient risque la septicémie / infection / nécrose, ce n’est pas joyeux. Le mieux étant donc de tout faire pour anticiper les risques sur le terrain et se rappeler que ce qu’on voit dans les films à sensations n’est pas la vraie vie. Avoir de la batterie, du réseau, une bonne idée de sa localisation, c’est ça qui vous sauvera la vie 😉

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